samedi 23 septembre 2017

Hommage - Vanitas

Quand on parodie une oeuvre, c'est en général une oeuvre qu'on apprécie. Cette vignette ne déroge pas à la règle, qui reprend le tableau de Philippe de Champaigne intitulé Vanitas. Réalisé en 1671, ce dernier,  sous-titré "Allégorie de la vie humaine", s'inscrit dans la tradition dite du Memento mori, un genre artistique dont le nom latin signifie "Rappelle-toi que tu vas mourir" et qui semble se donner pour but de faire prendre conscience aux hommes de la vanité de toute entreprise terrestre, la mort rendant futiles richesse et réussite, au même titre qu'échec et pauvreté, qui perdent toute valeur au jour de notre trépas.

Dans son tableau, Philippe de Champaigne juxtapose de manière symétrique une tulipe, un crâne et un sablier, faisant ainsi le portrait symbolique d'une humanité définie par une vie fragile (la tulipe, dont un pétale commence déjà de s'incliner, manifestant ainsi le début du déclin) menacée par le passage inexorable du temps (le sablier), qui l'oblige à faire face à la peur qui la fonde, celle de la mort, le regard du spectateur ne pouvant éviter de s'enfoncer dans les orbites creuses du crâne situé au centre de l'oeuvre (et que j'ai malicieusement remplacé par un champignon). L'aspect épuré de cette peinture empêche toute distraction. Nous sommes donc, seul face à nous-mêmes (une impression de solitude infinie me prend à la vue de cette tablette dépouillée sur fond noir, baignée d'une lumière terne et froide), amenés à nous interroger sur notre propre rapport à la mort et, par la même occasion, songer qu'au fond nous n'avons pas de raison d'accorder tant d'importance à ces petites choses qui rendent parfois le monde matériel si compliqué.

La prise de conscience de la mort, les angoisses nées de cette dernière et sa conceptualisation sont selon moi ce qui fonde toute civilisation, ce que toute création humaine, d'une manière ou d'une autre, nous rappelle : nos innombrables sépultures, les pyramides et le Taj Mahal sont autant d'exemples de l'importance que revêt à nos yeux cette transition de la matière organique qui nous constitue d'un état à un autre, dont nous ne savons pas grand-chose mais dont nous connaissons avec certitude la fatalité. Cette impossibilité de savoir, doublée de la contradiction qui consiste pour l'homme à lutter pour survivre tout en sachant très bien qu'il mourra, engendre en lui comme une faille, un gouffre où s'engouffre son imaginaire, qui n'a jamais eu de cesse de le combler d'images et d'idées, de concepts et de conceptions, de projets et de projections, dans le but unique de se rassurer, autrement dit de se donner l'illusion de contrôle ce qui pourtant lui échappe (le cauchemar n'est-il pas, lui aussi, paradoxalement, le moyen que trouve l'enfant de combattre sa peur du noir ?). Dans 2001, L'Odyssée de l'espace (1968), Stanley Kubrick matérialise cette recherche de maîtrise sous la forme d'un monolithe noir dont la géométrie parfaite donne forme à l'informe, et l'impalpable de devenir palpable - en apparence - par le truchement d'une stèle géante.

samedi 9 septembre 2017

Hommage - Auguste Rodin

Pourquoi Le Penseur, cette célèbre statue créée par Auguste Rodin en 1882 et qui devait à l'origine illustrer l'un des épisodes de La Divine comédie de Dante, me parle-t-il tant ? Ce poète aux portes de l'Enfer devenu plus modestement et plus universellement penseur dans sa version finale, avec son corps musclé, sa position de méditation métaphysique savamment calculée, son regard plongé dans les méandres de son labyrinthe intérieur et l'impression générale de repli sur soi qu'il donne à voir tout en se dérobant au regard du spectateur, ce philosophe solitaire, disais-je, imperturbable et dénudé, symbole selon moi d'un rapport honnête et simple au monde ainsi qu'à soi, fonctionne tout à la fois comme un miroir et, par conséquent, comme une invitation directe à la réflexion.

Connaissance de soi, silence et solitude sont les clefs du savoir et de la vérité. En quête de sens, ne nous laissons pas divertir. Restons concentrés, comme ce penseur, débarrassé des oripeaux du monde moderne, où l'âme se meurt de ne plus pouvoir respirer, prisonnière du bruit, d'une matérialité délétère et d'idées qui ne sont pas les siennes. Esprit sain dans un corps sain, le penseur poursuit sa voie, sans pour autant nous inviter à le suivre. Ce qui l'entoure, en effet, semble lui être indifférent. Nous sommes donc libres. Libres d'interpréter à notre guise sa prise de position (dans tous les sens de l'expression), de l'admirer et d'adhérer ou non au message qu'il peut à son insu nous faire passer et qui ne saurait être autre chose qu'une projection. Et si cette statue nous interroge, notamment sur notre propre nature, il se pourrait également qu'elle nous apporte une réponse sous forme de définition : l'homme est au fond le miracle par lequel la matière est devenue consciente d'être.

En ce qui me concerne, ce penseur me rappelle surtout quelqu'un que j'ai la prétention de connaître plutôt bien : moi-même. Réfléchissant à tout vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis que je suis en âge de le faire, je n'ai de répit que dans mon sommeil et recherche activement, et ce de manière vitale depuis mon entrée dans le monde du travail salarié, ces moments de retrouvailles avec moi-même qui me permettent de prendre le recul nécessaire pour analyser, encore et encore, ce qui m'obsède, me travaille ou me fascine, ou tout simplement rêver et m'adonner à l'une de mes occupations favorites : la création sous toutes ses formes.

Et vous, que vous inspire ce penseur salutaire ?